Les techniques de la gestion de carrière classique des cadres – dont l’objectif est de répondre aux aspirations des cadres tout en s’assurant d’avoir en interne les compétences nécessaires à la poursuite de l’activité sur le long terme – ont été bousculées par des pratiques nouvelles que la récente crise de la Covid a mises en lumière et accélérées. Dans ce nouveau contexte, le cadre global de collaboration ne serait plus le poste, mais un horizon à plus long terme : celui du parcours professionnel. La gestion des carrières des cadres doit s’adapter à ce nouvel environnement.

 

Dans le domaine des ressources humaines, la gestion des carrières représente un enjeu stratégique pour l’employeur. Sa mise en œuvre au sein de l’entreprise est essentielle. Il s’agit de répondre aux aspirations des cadres tout en s’assurant d’avoir en interne les compétences nécessaires à la poursuite de l’activité sur le long terme. La récente crise de la Covid a assez profondément impacté les pratiques traditionnelles. Les nouveaux défis que doivent par ailleurs affronter les entreprises agissent dans le même sens.

La gestion de carrière des cadres consiste à organiser leur adaptation à la stratégie globale et aux besoins des entreprises, en prenant en compte leurs compétences professionnelles et leurs aspirations d’évolution. Classiquement, différents outils sont utilisés :

  • Le référentiel métiers et compétences. Il permet d’ajuster les compétences des cadres aux exigences de la politique de recrutement, de mobilité interne et de formation.
  • L’identification des compétences grâce à la « people rewiev » et aux entretiens de carrière. La « people rewiev » permet à l’entreprise de dresser un bilan en principe annuel, des ressources humaines dont elle dispose. Les entretiens de carrière sont tout à la fois un outil d’évaluation de la performance, et de détection des potentiels de l’entreprise, un outil de pilotage RH et un bon moyen de recueillir le ressenti des cadres sur leur activité et leurs difficultés éventuelles.
  • Le développement des compétences des cadres. Il passe les actions de formation continue et la mobilité interne, le plan de carrière, le bilan de compétences. Dans cet objectif, le logiciel SIRH (Système d’Information des Ressources Humaines) est l’un des outils technologiques performants. Il est une solution efficace pour optimiser la gestion des talents et des carrières.

 

Une culture de la flexibilité

Pour une entreprise, gérer des carrières repose sur une idée simple : l’entreprise souhaite entretenir une relation durable avec ses cadres, et c’est la notion de « carrière » qui permet d’articuler ces engagements réciproques. Dans les faits, pourtant, la démarche a été progressivement remise en cause. La crise de la Covid et les évolutions économiques récentes y ont fortement contribué. En effet, comment promettre un emploi durable quand le marché du travail s’avère de plus en plus incertain et complexe? Promettre des carrières, c’est aussi faire le pari de privilégier le développement des compétences en interne plutôt que d’acquérir des talents sur le marché externe. Cependant, cette démarche semble avoir perdu en pertinence dès lors que les cycles économiques et technologiques se sont accélérés, sont devenus plus complexes aux niveaux national et international. Former des équipes à des métiers nouveaux et les acculturer à de nouvelles méthodes semble parfois trop lent. Le recrutement externe a pris le visage du renouveau et de l’innovation tant souhaitée.

La Silicon Valley, où les entreprises et les équipes se constituaient et se défaisaient au gré des projets et paraissaient ainsi être plus dynamiques, a servi d’exemple. Ces pratiques globalement défavorables aux cadres ont été coiffées d’un argument en leur faveur : les cadres du XXIe siècle ne se satisfont plus d’un seul employeur au cours de leur carrière. Leur implication et leur motivation ne passeraient de plus en plus souvent que par la liberté de changer d’entreprise, de métier et même de compétences. Ce qui conduit à considérer que les marchés internes sont de plus en plus gérés comme des marchés externes : l’entreprise ne s’engage qu’à faire connaître ses besoins. Les cadres sont responsabilisés : c’est à eux de faire connaître leurs compétences, leurs besoins et leur potentiel. Cela signifie aussi que la relation entre employeurs et cadres est de plus en plus éphémère. La flexibilité devient prégnante quand les horizons économiques sont incertains. Ainsi, à la faveur de la crise sanitaire et des évolutions économiques récentes, la gestion des carrières est devenue progressivement une gestion des mobilités.

 

Mais un besoin de stabilité

Concernant les cadres, la mobilité externe et la liberté de gérer son parcours professionnel se confondent avec l’idéal d’une autonomie renouvelée. Les études qui comparent parcours internes et externes montrent des accélérations plutôt que des transformations de trajectoire : changer d’employeur permet de gagner plus rapidement en salaire et en responsabilités. Ceux qui conservent le même employeur finissent souvent par atteindre les mêmes revenus et les mêmes emplois, mais plus lentement. Dans les faits quand bien même ils auraient le goût du challenge, les cadres ont aussi besoin de stabilité. L’identité personnelle qui cadre la plupart du processus psychologique, demande que soient stabilisées les appartenances à des groupes sociaux ou à des valeurs de référence. Pour certains, c’est le métier qui joue ce rôle. Mais, pour beaucoup, c’est l’entreprise qui reste le repère fondamental. De nombreuses études montrent que les entreprises fonctionnent par des synergies entre les « mercenaires » qui viennent du marché externe et les « héros discrets » qui incarnent la culture stable qui leur est nécessaire. Les individus ont souvent besoin d’un minimum de stabilité, les entreprises aussi.

 

La flexibilité interne, une nouvelle séquence pour les Ressources humaines

La quête de sens dont on parle tant ne concerne pas seulement la possibilité de produire un travail conforme à son éthique. Elle implique aussi une appartenance à un collectif et une socialisation réussie dans un environnement professionnel. Face à des enjeux aussi complexes que l’IA, la transition écologique, la réindustrialisation et une concurrence toujours plus vive et ouverte, les entreprises, ont besoin d’une culture stable. Mais elles ont aussi besoin de moyens d’évolution et de transformation conséquents et, en particulier, dans le domaine des RH, de créer des emplois de cadres aux contours nouveaux. La conjugaison de ces enjeux plaide ainsi pour l’ouverture d’une nouvelle séquence dans le mode de gestion de l’emploi des cadres.

Dans ce nouveau contexte, le cadre global de collaboration ne serait plus le poste, mais un horizon à plus long terme : celui du parcours professionnel. Cette perspective organisationnelle responsabilise de manière nouvelle la direction des Ressource humaines et le management dans l’élaboration des parcours : veille concernant les métiers et leur transformation, accompagnement dynamique et concerté de chaque cadre. Telle sera maintenant davantage leur mission en ce domaine.

Emile Biardeau

AVARAP

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