Au-delà des réseaux sociaux, le FOMO (Fear Of Missing Out, en anglais) s’immisce au travail chez les collaborateurs avides de projets, valorisant ainsi leur place en entreprise. Dans un environnement collaboratif où la réactivité est de mise, est-on condamné au FOMO ? Décryptage avec nos experts du Lab Albert Moukheiber et Luc Bretones.

 

En entreprise, tout peut aller très vite. Zapper un e-mail, une réunion informelle ou des messages sur Slack et c’est une opportunité qui s’envole en un claquement de doigts. L’idée de ne pas être « dans le coup » peut terrifier certains collaborateurs, craignant de louper des opportunités cruciales pour leur carrière. La parade ? Une attention et un investissement accrus dans la vie de l’entreprise, parfois jusqu’au débordement. Le sentiment qui engendre cette frénésie s’appelle le FOMO, de l’acronyme anglais Fear Of Missing Out, soit la peur de passer à côté de quelque chose de potentiellement crucial. Identifié en 1996 par le Dr Dan Herman et d’abord lié aux habitudes de consommation des masses, le FOMO s’est depuis généralisé à d’autres usages de la vie moderne, avec l’apparition combinée du téléphone mobile, des réseaux sociaux et d’Internet ; et le monde du travail n’y a pas échappé.

 

Tous les FOMO ne se valent pas

Comment naît la sensation de FOMO ? Les causes sont infinies, mais il ne surgit pas du néant : c’est dans le vivre ensemble qu’il émerge. « Dès qu’il y a un environnement social, il y a un risque de FOMO. Ce n’est pas forcément la crainte de ne pas être physiquement présent. On peut être dans une sorte de FOMO symbolique et avoir peur d’être à l’écart », analyse Albert Moukheiber, psychologue et expert du Lab. Et si de nombreuses situations de la vie courante dont le travail génèrent un FOMO, celui-ci peut avoir des causes différentes. « Il peut être lié soit à une forme d’anxiété, soit à une forme de frustration. On peut avoir un syndrome FOMO pour plein de raisons différentes : par exemple au travail un manque de confiance en soi, le besoin de créer du lien social pour devenir ami avec ses nouveaux collègues, ou encore de s’intégrer à la culture d’entreprise… », ajoute-t-il. Des impératifs implicites à la vie en entreprise que l’on s’impose parfois de manière intense.

Mais tout n’est pas à jeter dans le FOMO. « On peut avoir des FOMO plus positifs : si on a travaillé sur un projet pendant un certain temps et qu’on craint de louper la réunion client », précise Albert. Avoir peur de passer à côté d’un objectif qui nous tient à cœur et sur lequel on s’est investi peut faire du FOMO un moteur pour avancer.

En revanche, il devient problématique quand il confine le collaborateur dans l’angoisse. « Le FOMO n’est pas censé être tellement envahissant, malgré le mot “fear”. S’il prend trop d’importance et devient handicapant, il faut le traiter à la manière d’un trouble anxieux : sortir de la projection en en parlant avec ses collègues et son manager. » Le FOMO peut donner un tournant disproportionné à certains dispositifs de la pensée, avec des conséquences parfois délétères : « Dans la cognition sociale, on a souvent 3 ordres de pensée : le premier c’est ce que je pense de moi, le deuxième ce que je pense des autres et le troisième ce que je pense que les autres pensent de moi. Dans les situations d’anxiété sociale, les pensées du troisième ordre deviennent très négatives. L’objectif est d’arrêter d’attribuer des idées aux autres », décrypte encore le psychologue et docteur en neurosciences. »

 

Le management face au FOMO

En entreprise, le FOMO touche tous les niveaux : du management aux collaborateurs, personne n’est vraiment à l’abri. « Il y a des tempéraments qui peuvent y être plus sensibles. On peut aussi avoir une plus grande probabilité de FOMO chez les juniors qui veulent être un peu partout pour s’assurer qu’ils ne ratent rien, parce qu’ils ont des choses à prouver. Mais le FOMO peut aussi toucher des personnes plus anciennes dans l’entreprise », analyse Albert. En plus des inclinations personnelles, les méthodes de management sont aussi en cause dans l’apparition de FOMO : « Les micromanagers par exemple sont très FOMO, puisqu’ils sont dans le contrôle permanent. Ils veulent être experts à la place des experts. Cela donne le plus souvent des managers à la rupture, surmenés », explique Luc Bretones, CEO de NextGen et expert du Lab.

Les équipes sont sensibles à ce type de comportement, quitte à l’adopter par mimétisme. « Comme le manager incarne un rôle modèle, le collaborateur peut adopter son symptôme FOMO pour faire comme son N+1 », poursuit-il. L’éparpillement des collaborateurs au-delà de leur rôle est aussi symptomatique de formes de management classiques et rigides. « Il est présent dans les entreprises avec un management vertical traditionnel, et un fonctionnement monarchique qui pousse les collaborateurs à adopter des démarches politiques pour évoluer dans l’entreprise. Le FOMO résulte d’une organisation managériale peu claire, où les collaborateurs sont parfois volontairement laissés dans le flou, avec peu de communication. Ils agissent alors de façon impérialiste pour marquer et élargir leur territoire », précise Luc.

Pour lui, les nouveaux modes de management sont en revanche beaucoup moins à risque de syndrome FOMO, tant chez les managers qui ne sont pas dans le contrôle total que chez les collaborateurs dont la marge de manœuvre est bien dessinée : « La gouvernance partagée ne provoque pas de FOMO, car chacun est “empower” et il n’y a pas de chevauchement. Les rôles et les responsabilités sont très définies et permettent à chacun de délimiter sa trajectoire et sa progression ». En revanche, difficile d’échapper au FOMO lié à l’innovation pointe Luc : « L’arrivée de nouvelles technologies importantes comme l’intelligence artificielle peut créer une forme de FOMO, car on a peur de ne pas être au courant d’un outil qui pourrait simplifier notre raison d’être. » Dans la vie pro comme perso, nous sommes toujours à l’affût de nouveaux outils pour faciliter notre quotidien.

 

Savoir répondre aux signes de FOMO

Comment lutter contre le syndrome FOMO dans son équipe ? Pour Albert Moukheiber, il faut s’adapter aux besoins de la personne : « Si on constate qu’un membre de son équipe est plutôt anxieux, on peut faire l’effort conscient de l’inclure ou de le ménager, en fonction des situations. »

  • La communication, indispensable pour un management adapté. Lors de son passage de manager dans l’équipe communication d’une chaîne audiovisuelle, Paul a dû gérer un de ses collaborateurs en FOMO. « Au début, j’ai pensé qu’il était juste très efficace et polyvalent. Mais le problème s’est fait sentir quand des tâches simples ont commencé à passer à la trappe : répondre à des mails de relance en interne, faire des relectures et éditions de contenus à envoyer en production… Et son implication diminuait au bout d’un certain temps : au début très présent sur les premières phases d’un projet, son suivi n’avait pas la même qualité à cause de l’accumulation de travail », explique-t-il.

Pour rétablir une harmonie, Paul a dû ruser : « Je voulais le ménager sans le mettre à l’écart. L’enlever des boucles de mail, l’exclure des projets ne me semblait pas la bonne solution : il aurait pu mal l’interpréter. Je me suis donc plus investi dans la répartition des projets et des tâches dans l’équipe et j’ai cherché à savoir ce qui le stimulait le plus : avec un objectif clair et qui le motivait, il avait plus de chance d’aller au bout du projet ». Sans le mettre à l’écart, replacer son collaborateur sur sa mission et son expertise a permis à Paul d’évacuer son éparpillement.

 

Se recentrer pour mieux naviguer

De la même manière, Luc Bretones propose la perspective suivante pour éviter le syndrome FOMO : « Il faut définir les champs clés à savoir le titre ou libellé du poste, la raison d’être et la redevabilité. Cela va permettre au collaborateur d’être focalisé sur son rôle et de créer ses propres opportunités plutôt que d’attendre en FOMO. » Plus le collaborateur sait ce qu’il fait, plus sa progression se fait de manière active. Dans l’agence de conseil spécialisée en marketing et communication où Claire s’occupe du brand content digital de clients, résister aux effets collatéraux du FOMO était aussi épuisant que de le subir. « La plupart du temps, j’avais l’impression de lutter dans le vide pour préserver mon espace et mon temps de travail. Même quand on veut le mettre à distance, il reste contagieux vis-à-vis des collègues qui peuvent vous entraîner. L’influence a été d’autant plus grande sur ma prise de poste », se confie-t-elle.

Durant ses premiers mois, elle donne tout, voire même un peu trop : « Je disais oui à chaque projet et j’essayais de proposer mon aide sur ceux qui n’étaient pas forcément dans mon portefeuille de clients habituels. Je pensais apprendre, mais j’ai surtout multiplié les tâches. Et celles qui constituent principalement mon job étaient de plus en plus mises de côté ». Pour sortir de cette spirale, Claire a joué sur une déconnexion progressive à la faveur du calendrier : « J’ai laissé décanter le nombre de projets sur lesquels j’étais en fin d’année qui est toujours plus calme, sans chercher à les remplacer ». Une première étape pour prendre le temps de repenser son rapport à son poste et ses objectifs. Désormais, elle préfère se placer à l’initiative des projets plutôt que de guetter les opportunités : « Je définis ce que je cherche et le “chasse” moi-même, ça me donne l’impression de tenir ma barque plutôt que de me laisser entraîner par le flot d’annonces et de mails ». En se concentrant sur les objectifs pertinents, on laisse de côté les projets qui alourdissent inutilement la charge de travail.

Mélissa Darré

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Publié le 26 avril 2023

 

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