La pandémie et le télétravail ont déclenché une prise de conscience et fait naître des interrogations sur le travail : son sens, les conditions dans lesquelles il s’exerce, la part laissée pour la vie personnelle… Témoin cette note de la fondation Jean-Jaurès (juillet 2022) : « Au rang des choses “très importantes” dans la vie des Français, la famille continue d’occuper la première place (citée par 71 %), mais elle est désormais suivie par les amis et relations (46 %) et les loisirs (41 %), devant le travail, qui se classait en deuxième position en 1990. »

 

La crise liée au déclenchement de la guerre en Ukraine et les problèmes de pouvoir d’achat qui en ont résulté ont nourri un sentiment d’insatisfaction concernant les niveaux de salaire, à quoi s’ajoute un sentiment d’injustice concernant les super bénéfices réalisés par certaines grandes entreprises.

Enfin, les péripéties liées à la réforme des retraites ont provoqué une crise politique, sociale, économique et remis au centre des préoccupations tout ce qui concerne le travail.

« Qu’il s’agisse de l’encadrer, de le réguler, de le libérer, de s’en libérer, de le réformer ou de le réinventer, le mot “travail” hante les discours politiques de tout bord », analyse Marie-Anne Dujarier professeure de sociologie à l’Université de Paris, auteure de l’ouvrage Troubles dans le travail (PUF). Lauréate du Prix du livre RH 2022. Il n’est peut-être pas inutile de revoir rapidement son évolution et les perspectives d’avenir.

 

Bref rappel historique

L’évolution du temps de travail est le marqueur le plus important ainsi que le rappelle Valérie Pérot. Consultante en entreprise. Elle en égraine les dates clés :

« 21 juin 1936 : loi sur les 40 heures (suite aux grandes grèves de mai et juin).

Mai et août 1936 : décrets facilitant le recours aux heures supplémentaires.

La déclaration de guerre stoppe la baisse du temps de travail.

1er septembre 1939 : un décret-loi porte la durée à 60 heures.

1946 : rétablissement des 40 heures.

1945-1963 : hausse de la durée hebdomadaire (la loi de 1946 rétablit les 40 heures mais facilite les heures supplémentaires). Cet allongement, alors que les gains de productivité sont de 5 % par an durant cette période, est une originalité française. »

Le principe de base de l’OST (Organisation Scientifique du Travail) « le temps est la mesure du travail » instaure les règlements dans les entreprises et la rationalisation du travail. La valeur économique du travail symbolisée par l’horloge et le chronomètre engendre une résistance ouvrière contre la dépendance de l’homme au travail et contre l’allongement de la journée de travail et ce, malgré les lois. »

Depuis l’année 2000, la loi dite loi « Aubry I », fixe la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires. L’idée d’une semaine de 4 jours refait surface.

 

L’impact des nouvelles technologies

Le télétravail procure un indéniable sentiment de liberté qui doit cependant être nuancé par le fait que la frontière entre les domaines professionnel et personnel se trouve partiellement brouillée. Par ailleurs, avec les smartphones, l’obligation de réactivité vis-à-vis de tout type d’information accroît la pression sur les cadres.

Avec l’intelligence artificielle, qui progresse à pas de géants, nous sommes entrés dans un nouveau monde. Des choses, jugées impossibles jusqu’alors, deviennent presque banales à réaliser.                                                                                                                                                             Les effets du progrès technique sont ambivalents. Si l’IA est un outil fantastique qui permet d’incontestables progrès dans plusieurs domaines, celui de la santé par exemple, il n’en suscite pas moins des questionnements quant à son utilisation. Des applications comme la réalité augmentée, le métaverse, et plus récemment, Chat GPT, qui s’est imposé comme une nouvelle organisation structurelle du savoir, alimentent de nombreux débats.                                                                                               Ce générateur de texte permet d’accéder à n’importe quelle information, de réaliser une synthèse ou un dossier à partir de données complexes, ce qui procure un gain de temps considérable. Il peut aussi faire des opérations plus contestables comme produire des faux d’un réalisme confondant et ce, dans pratiquement dans tous les domaines : visuel, musical, littéraire… Il devient très difficile de distinguer le vrai du faux. La post-vérité va-t-elle devenir la norme ? En raison des risques d’une utilisation pernicieuse de l’IA, qui n’est régie par aucun cadre juridique, il apparaît nécessaire de fixer des règles quant à son utilisation.

Compte tenu de la complexité du problème, le choix de l’Union européenne est de s’en tenir, pour l’instant, à la régulation des systèmes d’IA qualifiés de « à haut risque ». il est devenu nécessaire d’apprendre aux enfants comment utiliser ces nouveaux outils, ce qui suppose une autre façon d’enseigner.

Les nouvelles technologies ont évidemment une influence sur le fonctionnement des entreprises dont elles accélèrent le rythme de vie ainsi que sur le travail des salariés. De nouvelles façons de travailler font leur apparition : télétravail, coworking, nomadisme…

 

De nouvelles exigences

Comme le souligne Frédéric Fougerat, auteur du livre « Un manager au cœur de l’entreprise » « Longtemps, le travail a été présenté comme une finalité. Il fallait travailler pour travailler. Alors, le travail pouvait s’apparenter à une valeur morale à laquelle la société se référait. »

« Il est, en revanche, de plus en plus considéré comme un moyen. Celui de pouvoir s’épanouir dans l’existence. Le moyen de pouvoir jouir de sa santé quand on est jeune, pour voyager, mais aussi profiter de sa famille, de ses enfants, de ses amis, exercer des passions, avoir des loisirs… »

Uberisation, nomadisme digital, travailleurs du clic, organisations virtuelles… le travail est devenu polymorphe et a perdu, pour beaucoup, une grande partie de son sens.

Les jeunes n’ont plus envie d’avoir le même engagement vis-à-vis du travail et les mêmes conditions que leurs parents. Leurs nouvelles exigences vont toutes dans le sens d’une meilleure qualité de vie, au travail et en dehors du travail. Ils recherchent une activité qui ait du sens, qui procure de la satisfaction sinon du plaisir, l’impression d’être utile, dans un environnement stimulant mais apaisé, leur laissant suffisamment de temps pour une vie personnelle, avec un salaire leur permettant de vivre correctement.

 

Une tendance nouvelle : la semaine de 4 jours

8 heures et 45 minutes par jour au lieu de 7 heures, pour une semaine de 35 heures en conservant le même salaire, la proposition séduit de plus en plus d’employés. Des expérimentations sont conduites dans différents pays avec succès. Dans notre pays, de grands groupes internationaux implantés en France se montrent intéressés par cette formule pour répondre à des enjeux de fidélisation des salariés. Un argument écologique est mis en avant : moins de déplacements pour les travailleurs peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Si la formule paraît séduisante, elle n’est cependant pas adaptée à toutes les entreprises et suppose, pour les employés, de modifier l’organisation de leur vie personnelle. Avec le risque pour les cadres : un rythme plus intense et une difficulté à réduire leurs heures à cause de leur charge de travail. Cette semaine de 4 jours est expérimentale et il est encore un peu tôt pour en tirer des conclusions.

Certains vont plus loin et revendiquent un Droit à la paresse, inspirés par le fameux pamphlet de Paul Lafargue : « Nos moralistes sont gens bien modestes ; s’ils ont inventé le dogme du travail, ils doutent de son efficacité pour tranquilliser l’âme, réjouir l’esprit et entretenir le bon fonctionnement des reins et autres organes. »

« Le travail est l’opium du peuple et je ne veux pas mourir drogué. » Boris Vian

Quoi qu’il en soit, travail hybride et semaine de 4 jours nécessitent de changer le fonctionnement des entreprises.

 

Vers un nouveau management

Depuis quelques années, des questionnements sont apparus dans beaucoup d’entreprises sur leurs modes de management. Face aux nouvelles exigences des candidats, les entreprises doivent s’adapter et, en premier lieu, assouplir leurs modes de recrutement et accepter des profils plus variés.

Les problèmes d’environnement font désormais partie des préoccupations, en particulier des jeunes générations. Les élèves des grandes écoles, par exemple, répugnent de plus en plus à travailler dans des entreprises comme Total Energies, qui rencontre de ce fait des problèmes de recrutement. (Plus de 800 étudiants et diplômés de Grandes Ecoles (Polytechnique, HEC, AgroParisTech, Centrale Supélec…) ont récemment signé une tribune pour protester contre la création de nouveaux forages et notamment contre le mégaprojet pétrolier EACOP, en Ouganda).

La participation à un groupe Avarap (ou son animation) peut constituer un bon entraînement pour pratiquer les valeurs qu’on est droit d’attendre de la part d’un bon manager. Parmi les points les plus importants, on peut citer : installer un climat de confiance, fixer des objectifs clairs, établir des règles de bon fonctionnement et les faire respecter, accepter de déléguer au maximum, encourager le travail d’équipe, pratiquer l’équité de traitement des membres de l’équipe, favoriser l’autonomie et la prise d’initiatives, donner de la reconnaissance, pratiquer l’exemplarité, savoir se remettre en question.                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Il faut cependant nuancer cette comparaison car les conditions sont très différentes ; pour le groupe Avarap l’objectif ultime est la satisfaction de chacun de ses membres. Pour l’entreprise (ou toute autre organisation professionnelle), il faut prendre en compte de fortes contraintes extérieures : état du marché, concurrence, rentabilité, contraintes légales, pression des actionnaires… Mais le plus important se résume à la formule : remettre l’humain au cœur de l’entreprise.

Le problème des seniors n’est toujours pas résolu. La France est, sur ce plan, très en retard par rapport à la plupart des autres pays européens. De même en ce qui concerne l’égalité hommes/femmes. Car le travail est, avant tout, organisé pour les hommes.

« Le monde de l’entreprise, comme celui de la politique, s’impose à nous sans que nous ayons pu le façonner : il a été fait par des hommes avant l’arrivée des femmes sur le marché du travail. Les jeux de pouvoir, les codes de la réussite et le rapport au temps et à l’espace qui caractérisent aujourd’hui le monde du travail salarié traditionnel n’ont pas été inventés pour un monde mixte et inclusif. Alors oui, nous sommes nombreuses (et nombreux) à vouloir nous libérer de ces violences-là. » Laetitia Vitaud diplômée d’HEC, spécialiste du futur du travail.

 

Le futur du travail

Le rythme des innovations technologiques est tel qu’on parle de disruption digitale, une révolution, impulsée par les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). En fait, c’est tout le fonctionnement de la société humaine qui va continuer à se modifier, en particulier sous l’influence d’une meilleure prise en compte des problèmes environnementaux. Ceci va à l’encontre des intérêts des grandes firmes mondialisées, pour lesquelles le plus important reste la recherche du profit.

Il est nécessaire d’interroger l’idée de progrès et remettre en cause un productivisme à outrance qui est le premier responsable de la dégradation de l’environnement.

« Nous arrivons à une fin de cycle sur la religion de la croissance. » Jean-Hervé Lorenzi économiste et dirigeant d’entreprises français.

Si le mythe de la fin du travail persiste et que les robots deviennent omniprésents, aussi bien dans la sphère professionnelle que dans le domaine privé (comme par exemple au Japon), il n‘en reste pas moins qu’ils ne pourront remplacer les humains.

Beaucoup de métiers vont disparaître (les travailleurs peu qualifiés sont particulièrement menacés) beaucoup d’autres seront transformés en profondeur et une multitude nouveaux métiers vont apparaitre.

Les robots, même les plus avancés, ne peuvent pas faire preuve d’empathie, les métiers qui requièrent d’interagir avec des gens ou qui demandent de la créativité seront peu impactés. C’est le cas par exemple de beaucoup des métiers de la santé : assistant médical, personnes spécialisées dans la garde d’enfants, psychologues, médecins, kinésithérapeutes, infirmière, sage-femme… De même pour les métiers manuels : boucher et ouvrier d’abattoir, carrossier, débosseleur, conducteur d’engins de pavage, couvreur, cuisinier, Installateur et réparateur de lignes électriques, tailleur de pierre, carreleur et marbrier, mécanicien, menuisier, peintre, tapissier, serveur et barman, plombier, tuyauteur et chauffagiste…

 

Quels sont les métiers du futur ?

On peut citer principalement trois types de métiers :

Les métiers liés à l’informatique : robotique et automatisation en premier lieu ; certains métiers de la santé et les métiers de l’environnement

Quelques exemples : Agriculteur urbain, Architecte environnemental, Data analyst.

Expert en cybersécurité, ingénieur en intelligence artificielle, pilote de drone, développeur web , Producteur-entomologue (l’entomologie est la science des insectes)

Guide touristique spatial, thérapeute en désintoxication digitale, designer de réalité augmentée, spécialiste des énergies renouvelables, Expert / Consultant Marketing Digital…

Les « soft skills » deviennent de plus en plus recherchées par les recruteurs, en particulier la capacité d’adaptation. Cette citation de Kant retrouve son actualité : « On mesure la compétence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il peut supporter. »

Difficile de savoir quel sera le bilan emplois supprimés et emplois créés.

L’agilité sera, plus que jamais, la compétence nécessaire. Enfin la formation représente l’enjeu principal des prochaines années.

Claude Génin, Avarap