Le management des entreprises dans la tourmente (deuxième partie)
Dans un précédent article, nous avons vu comment le management a évolué au cours du XXe siècle et comment il a été fortement remis en cause par la crise du Covid 19. Cette dernière n’a fait qu’accélérer des processus en marche depuis la fin des « trente glorieuses ». Le rapport au travail de la génération Y est emblématique de ces changements. Enfin, l’émergence de la notion de « quête de sens » oblige les managers à se repenser. Nous allons esquisser des pistes pour y parvenir.
Avec l’arrivée sur le marché du travail de la génération Y, nous retrouvons les problèmes de l’autorité et de l’individu, mais de manière nouvelle et différente. Quid de la capacité des entreprises à s’adapter aux natifs de cette génération ? Car il faut bien poser la question de cette manière. En effet, on ne voit pas comment les entreprises pourraient écarter durablement environ 10 millions d’actifs au motif qu’il seraient en majorité ingérables, imprévisibles et impossibles à motiver et à fidéliser. Il y a toutefois autant de diversité chez cette génération des années 1978 à 1995 que dans les générations précédentes. Et la pratique du terrain nous enseigne que nombre d’entre eux réussissent à fonctionner selon les règles classiques de l’entreprise. Mais à une condition : que l’on réponde à leurs questionnements et à leurs attentes.
La génération Y pose ses conditions
En effet, cette génération a une forte tendance à poser des conditions, formuler des questions, et attendre des réponses. Et cela bouscule les managers plus âgés, qui, s’ils considèrent légitime que leurs collaborateurs leur demandent « comment », n’ont pas encore l’habitude d’être interrogés sur le « pourquoi », et encore moins d’y répondre. Or, beaucoup plus fortement que leurs aînés, les jeunes professionnels conditionnent leur engagement à la bonne compréhension de ce qu’ils font. Faute de réponse claire de leur hiérarchie, ils en relativiseront l’autorité. Par contre, avec l’information nécessaire, ils sont tout à fait à même de jouer le jeu, surtout si leur manager leur paraît compétent et possède les qualités de leadership requises. Pour le manager traditionnel, cela représente un changement souvent considérable et demande une adaptation conséquente, tant la conception hiérarchique de l’autorité reste encore souvent prégnante dans certains schémas mentaux.
Les rapports de la génération Y à l’autorité expliquent pourquoi ces jeunes professionnels fonctionnent bien dans le mode projet, en principe « hors hiérarchie ». De même, dans certaines grandes entreprises, les organisations en mode « matriciel » leur conviennent parfaitement. A l’aise dans ce type de structures où leurs compétences sont reconnues, ils sont capables de travailler très intensément et de libérer une grande créativité. Ils influencent même le développement de ce type d’entreprises. C’est ainsi que sont nées et ont grandi les start-up.
Et l’entreprise plus classique qui parvient à faire vibrer cette fibre ne voit plus en eux des « digital natives ingérables » mais des collaborateurs qui font d’autant mieux ce qu’ils font qu’il savent pourquoi ils le font. Les clés de cette réussite sont donc entre les mains des managers. A eux d’assouplir et d’adapter leur pratiques. Les nouvelles générations sauront le percevoir et seront d’autant plus enclines à jouer le jeu pour le bien de l’entreprise et pour leur meilleur épanouissement.
La quête de sens dans le travail
La quête de sens dans le travail est devenue importante dans la société actuelle :
- un objectif à atteindre pour les cadres,
- l’objet d’une stratégie à mettre en place pour les dirigeants,
- un challenge d’accompagnement pour les managers.
Elle est le fruit d’un équilibre entre moyens humains et moyens matériels pour répondre à des objectifs de vie pour les uns, d’image et de compétitivité pour les autres.
La quête de sens serait souvent perçue comme une revendication propre aux jeunes générations qui exprimeraient, plus que leurs aînés, une volonté forte de percevoir l’utilité de leur travail. Pourtant, d’après une étude de l’APEC, c’est bien l’ensemble des cadres qui accorde de l’attention à cette question : 51 % des cadres jugent « très important » d’exercer un métier qui a du sens. Il est également fondamental pour eux de se sentir utiles à l’entreprise (52 %), et à continuer à apprendre de nouvelles techniques (56 %).
Mais que signifie exactement un travail qui a du sens ? A partir de quel moment un collaborateur peut-il affirmer trouver du sens à son travail ? La notion de sens au travail ne doit pas être confondue avec celle de bonheur ou même de bien-être ; elle recouvre trois dimensions :
- une dimension émotionnelle : le fait de ressentir au travail davantage d’affects positifs que négatifs.
- une dimension cognitive ensuite : la satisfaction vécue lors des missions, le développement des compétences et l’impact des actions sur l’évolution de la personnalité.
- une dimension aspirationnelle enfin : le sentiment de contribuer et d’adhérer à un projet global d’entreprise.
Même si ces trois conditions ne peuvent être toujours entièrement satisfaites, l’absence totale de l’une d’entre elles accroît le risque de voir certains collaborateurs s’orienter vers d’autres horizons, plus en adéquation avec leurs attentes.
Les leviers à actionner par la Direction des Ressources Humaines
Pour contribuer à apporter du sens aux missions :
- Il est indispensable en premier lieu d’apporter aux salariés des informations régulières et pertinentes sur la stratégie et la vision de l’entreprise, en particulier pour les cadres : avoir un travail auquel on trouve du sens, c’est avant tout savoir pourquoi on le fait et dans quelles perspectives, savoir et comprendre la finalité à court et moyen termes.
- En parallèle, à l’échelle individuelle, il est nécessaire que le collaborateur ait une perception claire de son rôle, de sa contribution et de ses compétences, ainsi que de ses objectifs au sein de l’entreprise. Les managers et les équipes RH doivent créer une proximité afin d’expliciter, aussi souvent et clairement que nécessaire, les tâches et les attentes liées au poste du salarié, tout en restant à l’écoute du ressenti de celui-ci.
Mais délimiter un rôle et des objectifs ne suffit pas.
- Il faut également apporter un feed-back au collaborateur sur l’impact de ses actions en développant un système qui valorise en continu les réussites ou qui alerte sur les échecs. Plus un cadre ou un autre collaborateur est conscient de son impact sur l’entreprise et de sa capacité à faire évoluer les choses autour de lui, plus il sera motivé par sa mission, et impliqué dans le développement de l’entreprise. Ainsi certains groupes comme ACCOR, Eiffage, Pernod Ricard, ou la MACIF ont instauré sous des formes diverses des shadows-Comex de jeunes cadres qui livrent leur vision aux cadres dirigeants sur des sujets stratégiques. Ces nouveaux espaces participatifs voient également le jour dans quelques PME-PMI qui disposent de moins de ressources mais qui ressentent également le besoin de développer des structures de dialogue inspirant. Les RH peuvent aussi aider le collaborateur à placer son travail quotidien sur une trajectoire plus globale, en ouvrant des perspectives de développement.
- La flexibilité des temps de travail est un autre moyen important de l’épanouissement au travail. Il peut être intéressant de réfléchir à certaines solutions concernant les modes de travail : horaires adaptés, télétravail, etc., afin d’offrir une autonomie valorisante, source de sentiment d’utilité et de satisfaction. Quel intérêt cela a-t-il pour l’entreprise ? Celle-ci a besoin d’attirer à tous niveaux des collaborateurs détenteurs de compétences techniques et comportementales indispensables : la créativité, l’autonomie, la vision globale, l’empathie, etc., alors que la valorisation des engagements personnels pèse de plus en plus fort dans le temps du recrutement. Et bien qu’elle soit de plus en plus mise en exergue dans le profil recherché des candidats, elle reste insuffisamment considérée et appliquée dans le temps de l’exercice professionnel.
Loin de remettre en cause l’autorité des RH et des managers, les évolutions concernant les attentes des collaborateurs sont autant d’occasions de repositionner leur leadership dans une relation plus participative et ouverte œuvrant à l’épanouissement de tous.
Emile Biardeau